Vie de Mathématicien : François Sauvageot

francoisQue font-les mathématiciens ? François Sauvageot, professeur en classes préparatoires aux grandes écoles, s’exprime sur le sujet à travers une interview que nous lui avons proposée.

 

  • D’où vient votre passion pour les mathématiques ? Et pourquoi avez-vous décidé d’étudier les mathématiques ?
    Je me suis passionné très tôt pour les maths. Avant même de savoir ce que c’était, en fait. Le monde mathématique est un monde de paix, un monde stable sans turbulences et sans arbitraire. En ce sens il est très sécurisant. Par ailleurs les maths sont un espace de liberté et de créativité que l’on peut parcourir bien avant de savoir lire et écrire. Je crois que mon amour pour les maths s’est développé avec les histoires que je me racontais tout petit.
  • Comment êtes-vous devenu enseignant en classes préparatoires ?
    C’est une longue histoire ! Pour faire court, après avoir préparé des étudiants au CAPES et à l’agrégation, puis être intervenu en IUFM (les anciens ESPE) pour former des profs des écoles, je me suis passionné pour la communication avec le grand public. J’ai beaucoup œuvré pour la fête de la science. Et puis quand ma fille aînée a atteint l’âge d’entrer au collège, nous avons décidé, ma femme et moi, de quitter la région parisienne, ses transports, sa pollution, sa violence. Nous étions tous les deux maîtres de conférences, elle en physico-chimie de l’atmosphère et moi en maths. Quitter la région parisienne a eu un prix assez fort !
    Après quelques espoirs liés à des échanges de postes, tous avortés, des mutations, qui n’ont jamais abouti, nous avons décidé de tenter l’aventure : on m’a proposé un CDD au CNRS pour m’occuper de communication en maths. Je devais travailler pour l’ancêtre de l’INSMI et pour un institut de communication du CNRS, l’ISCC. Ma femme, quant à elle, a dû prendre un congé sans solde et espérait faire aboutir une mutation ou trouver un job dans la qualité de l’air. Rien de tout cela n’a abouti et mon CDD ne durait que deux ans. Nous avions alors le choix entre rentrer bredouilles à Paris et récupérer nos postes de maîtres de conférences, ou trouver une autre solution. Ma femme a alors pris sa retraite (on pouvait encore, à l’époque, avec trois enfants et quinze années de service) et j’ai demandé ma réintégration comme prof agrégé.
    Pour tout dire, j’avais plutôt envisagé de demander à devenir prof des écoles. On m’a alors expliqué que j’étais surqualifié pour le job. Incroyable mais vrai. On avait même des doutes quant à l’idée de me nommer en collège. En même temps le collège est terriblement dur et je n’avais pas une grande envie d’y aller. En fait, la réalité était qu’il était plus facile de me nommer en classe prépa qu’ailleurs car la décision appartenait alors à seulement quelques personnes (à savoir l’inspection générale de maths). J’ai donc postulé en classe prépa et j’ai demandé une classe où les maths ne sont pas la matière de sélection (enfin, pas trop), à savoir BCPST, biologie-chimie-physique-sciences de la terre.
  • La vulgarisation des mathématiques est une partie importante de votre travail. Vous vous êtes engagé dans plusieurs actions pour le grand public, on vous a notamment vu récemment dans le film « Comment j’ai détesté les maths ». Qu’est qui vous plaît dans ce type d’activité ?
    Le contact avec le grand public m’est devenu nécessaire. Comme me l’a appris ma prof de troisième, Michèle Mathiaud, transmettre est un art difficile. Et je le trouve passionnant parce que rien n’est acquis. Mes étudiant(e)s n’ont pas vraiment le choix : le programme me dicte ce que je dois leur transmettre et après il faut bien qu’ils s’y mettent. Bien sûr il m’arrive souvent de digresser, mais fondamentalement c’est un public captif.
    Rien de tel avec le grand public ! Quand je parle de démocratie, de vote, d’impôts, de camping, d’inondations etc. avec une audience variée, je ne sais jamais à quoi m’attendre : de la sympathie ou au contraire une attitude agressive. Et pourquoi ? Comment réconcilier les gens avec les maths ? Comment faire avec leurs blessures mathématiques ?
    Et puis cela m’a amené à faire de nombreuses rencontres, au détour d’une conférence, et même parfois dans la rue. Que ce soit des professionnel(le)s ou non, j’ai appris énormément au contact de gens qui sont venus me voir. Et j’espère bien que ça va continuer ainsi encore longtemps !
    Au fait, je n’aime pas trop le mot « vulgarisation » ! Ce n’est pas vulgaire du tout ! Je préfère parler de « science populaire », comme on pouvait le dire au XIXème siècle.
  • Quels sont vos projets à venir dans ce domaine ?
    Je collabore au scénario d’un film. Je n’ai pas encore eu de proposition pour intervenir comme acteur dans un nouveau film, mais je crois que ça me plairait bien !
    Je suis en train de réfléchir à deux livres. L’un avec des réflexions sur les maths, l’autre pour partager des maths avec le plus grand nombre.
    Et sinon je continue à faire tourner mon spectacle d’improvisations mathématiques et à donner des conférences. Toute mon actu est sur mon site perso : mathom.fr !
  • Selon vous quelles sont les raisons qui font des mathématiques le sujet le plus difficile et pas toujours aimé parmi les autres sujets scolaires ?
    Le plus difficile, ça dépend pour qui ! Je crois que le fait de sélectionner avec les maths a fait beaucoup de tort à la discipline. C’est d’ailleurs incroyable qu’après l’échec de la réforme des maths modernes, on continue dans cette voie alors même que les profs de maths sont très souvent hostiles à la sélection par les maths. Et pourtant, on n’en fait pas tant que ça. Il n’y a qu’à comparer la série S aux autres. À quand une vraie filière scientifique avec des horaires de sciences, et donc de maths, conséquents ?!
    À l’école primaire, les maths ne sont pas si détestées. Les opinions sont plus variées. C’est au collège que ça devient difficile. En fait le collège est un moment difficile ! Les programmes sont souvent des freins pour faire des activités plus adaptées au public. Il faudrait pouvoir s’en écarter, voire se dispenser de programme ! Les plus fragiles en maths ont des soucis qui sont souvent bien antérieurs ou ont des difficultés liées à des problèmes extérieurs à la classe, tandis que d’autres ne sont pas assez nourris et s’ennuient après la vingtième répétition du théorème de Pythagore. D’ailleurs faites l’exercice, combien de triangles rectangles avez-vous rencontré en classe et dont les longueurs des côtés ne soient pas multiples de (3, 4, 5) ?
    Et pourtant les profs de maths font des efforts, et essayent de contenter à la fois les réformes, les parents, les enfants… mais c’est dur, très dur ! Les IREM rendent beaucoup de service en ce regard. Bref, à mon sens, le vrai problème, c’est la note et la sélection.
  • Quel type d’activité pourrait-on proposer pour rendre les mathématiques plus populaires ?
    Vaste question ! Je crois qu’il faut rappeler que c’est une activité humaine ! Il faut donc faire venir des mathématicien(ne)s dans les classes, organiser des sorties, utiliser l’actu pour bâtir des séquences pédagogiques et ne jamais s’interdire de réagir mathématiquement quand c’est possible. En particulier les maths peuvent interagir avec les autres disciplines : histoire, philosophie, éducation civique etc.
    Plus avant, j’aimerais que l’on valorise plus la recherche et le sens. Pour cela il me semblerait utile de faire appel à qu’on appelle les narrations de recherche. Tout comme en EPS on a appris à ne pas se focaliser sur la performance, il faut apprendre à ne pas restreindre les maths aux résultats. Mais pour cela il faut que les contrats didactiques soient énoncés clairement. Il faudrait aussi que la France comprenne que pour faire évoluer massivement son système éducatif, il faut investir dans la formation continue des profs. Or, celle-ci est essentiellement inexistante. Un terrible paradoxe !
    Quant à la popularité auprès du grand public, je ne sais pas. J’essaye des choses, d’autres en essayent d’autres… Je crois de mon côté qu’il faut aller à la rencontre du public en tous les sens du terme : aller le voir, parler sa langue et ne pas croire qu’on en sait plus que lui. La rencontre est avant tout un échange ! Je crois aussi qu’il ne faut pas donner une image froide et inaccessible des maths, comme le font certaines expos. Là encore, la clef est de montrer que c’est une activité humaine et de montrer pourquoi on peut la partager, sans arrogance.

Découvrez l’intégralité de l’interview de François Sauvageot à cette page

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