À propos de l’attractivité des mathématiques

Les mathématiques sont attractives…

maths
Le cours préféré des collégiens français, après le cours d’éducation physique et sportive, est le cours de maths (étude DEPP, 1997). Pierre Merle, dans un article de 2003, expose les résultats d’une enquête qui montre que 70% des élèves de collèges sont intéressés, ou très intéressés, par les maths. Un article très récent (Teresa Assude et al, à paraître) montre que les élèves de l’école de la 2ème chance de Marseille ont une vision positive des maths. Une thèse récente (Lili Ji, 2011) montre que le cours préféré des lycéens de terminale français est le cours de maths, comme pour les lycéens chinois. Toutes les enquêtes faites sur le sujet donnent des résultats similaires : les maths sont une matière attractive, probablement la préférée des matières scolaires, pour une majorité de lycéens et de collégiens.

 

On peut prendre les choses d’un autre point de vue : tout le monde sait que dans le lycée français, les différentes voies sont hiérarchisées, et que c’est la voie scientifique qui est en haut de la hiérarchie ; au sein même de cette voie scientifique, les différentes spécialités sont elles aussi hiérarchisées, et c’est la spécialité mathématique qui est en haut du classement.

la France compte le taux de bac+5 en sciences le plus haut

Même s’il n’est pas politiquement correct de le dire, car toutes les disciplines doivent se voir reconnaître une égale dignité, l’expérience quotidienne de tout parent d’élève, comme les divers indicateurs sociologiques disponibles, convergent vers cette image d’une hiérarchie forte et stable, et d’une forte attractivité des sciences et en particulier des mathématiques. Ici aussi, bien que dans un sens différent (mais l’est-il tellement ?) on peut parler de l’attractivité des mathématiques. Cette attractivité continue d’ailleurs dans les études supérieures : ce sont les études scientifiques, ingénieur ou médecin, qui sont les plus convoitées, et une étude récente de François-Xavier Martin montre que la France est le pays qui compte le taux de diplômés à bac+5 en sciences le plus haut, avant l’Allemagne, bien avant la Chine ou les USA ; même au niveau doctorat, elle suit l’Allemagne de près en sciences. Cette attractivité continue d’ailleurs avec l’accès à l’emploi : on sait que les diplômés scientifiques, en particulier en mathématiques et en informatique, sont parmi les plus appréciés des employeurs, comme le montrent les taux d’emploi et les salaires correspondants.

 

Qu’est-ce qui explique cette attractivité ? Il y a bien sûr quelque chose d’intrinsèque à la discipline ; chaque mathématicien connaît le plaisir de réussir une démonstration, et de comprendre pourquoi les choses marchent, même si ce plaisir prend des formes très diverses suivant les personnes. Ce n’est sûrement pas le seul facteur : les sociologues ont montré combien les goûts dépendent de la situation sociale de chacun ; l’article de Pierre Merle cité plus haut montre que l’intérêt pour les mathématiques baisse entre la 6ème et la 3ème, mais qu’il baisse moins que l’intérêt pour le français (peut-être parce que les buts de l’enseignement des mathématiques sont plus explicites que ceux du français), et surtout, qu’il baisse beaucoup moins pour les élèves qui considèrent qu’ils ont un bon niveau dans la matière. Il est aussi probable qu’il y ait quelque chose de spécifique à la France : la classification d’Auguste Comte a toujours une grande influence chez nous !

 

pourquoi l’idée répandue par les médias est en contradiction complète avec les faits ?

… quoi qu’on en dise !

Comment se fait-il que l’idée répandue par les médias soit en contradiction complète avec ces faits, et qu’il soit généralement admis qu’il y a un problème avec l’attractivité des mathématiques ?

Bien sûr, je n’ai pas dressé un tableau complet, et il y a aussi des ombres : on sait que les mathématiques sont anxiogènes pour beaucoup d’élèves ; on sait aussi que les effectifs de la spécialité mathématique en terminale ont fortement baissé, comme les effectifs des licences scientifiques. Ces faits avérés, qui ont d’autres explications qu’un manque d’attractivité des mathématiques, ne suffiraient cependant pas pour donner un tableau aussi noir que celui que l’on peint en général.

 

La véritable explication est probablement liée au fait que la plupart des personnalités politiques ou médiatiques n’ont fait aucune étude scientifique ; ces responsables pensent aux mathématiques en termes d’échec, et ont du mal à imaginer que l’on puisse s’y intéresser. Il est d’ailleurs socialement admis de parler en public de philosophie, d’histoire ou de littérature, mais considéré comme grossier de parler de mathématiques ou de physique (ce qui n’était pas le cas au siècle de Voltaire et de Condorcet). Cette évolution date du début du 19ème siècle, et semble débuter avec le romantisme. Cet état d’esprit donne une explication plus naturelle de tous les problèmes que peut rencontrer l’enseignement des mathématiques en termes de désaffection et de manque d’attractivité ; cette cause abstraite (et irrémédiable) permet d’éviter de chercher les causes concrètes, et les remèdes possibles, qui pourraient s’avérer coûteux de plusieurs points de vue, en particulier en obligeant à remettre en cause des certitudes paresseuses.

 

On peut en donner divers exemples ; je me bornerai à trois d’entre eux : la baisse des effectifs de la spécialité mathématique en terminale, la chute de la licence de sciences, et les difficultés récentes pour recruter des professeurs de mathématiques.

 

Trois exemples d’explications paresseuses.

On sait que les effectifs des élèves de terminale en spécialité mathématique ont fortement baissé en 20 ans. Est-ce le signe d’un manque d’attractivité des mathématiques ? Si c’était le cas, les meilleurs élèves, auxquels tous les choix sont ouverts, partiraient les premiers vers d’autres cieux. On constate exactement le contraire : le taux de mentions Bien et Très Bien, et le pourcentage d’élèves en avance ou issus des classes favorisées, tous indicateurs classiques des bons élèves, sont nettement meilleurs en spécialité mathématique : celle-ci est plus attractive que les autres pour les bons élèves. La cause de la baisse est plus prosaïque, et parfaitement connue : la moyenne de maths au bac est inférieure de quelques points aux moyennes de physique-chimie et de SVT ; cette différence, qui n’a aucune raison avouable, fait qu’un élève moyen augmente ses chances en choisissant une autre spécialité. Comme les élèves sont en général bien plus au courant de ce genre de choses que les responsables du système éducatif, ils en tirent les conséquences logiques ; les très bons élèves qui n’ont aucun doute sur leurs capacités à obtenir le bac choisissent en grand nombre la spécialité mathématique, les autres vont voir ailleurs, avec ce résultat paradoxal que, bien que plus difficile à obtenir toutes choses égales par ailleurs, la spécialité mathématique a un meilleur taux de réussite que les autres ! Il suffirait bien sûr pour changer cela de demander que les moyennes des diverses épreuves soient les mêmes, ce qui devrait aller de soi.

…la spécialité mathématique a un meilleur taux de réussite au BAC que les autres

Cette demande évidente n’est jamais satisfaite, pour des raisons peu claires ; les enseignants de mathématiques tiennent peut-être à la gloire douteuse d’avoir une discipline plus difficile, donc plus enviable, et les autres sont heureux de récupérer les élèves… On trouvera tous ces résultats détaillés dans la note d’information de la DEPP 05.38, de décembre 2005, portant sur le bac 2003.

 

Les flux d’entrée en licence de sciences ont été divisés par 2 depuis 1995. On explique cette chute dans la presse, ou dans de multiples rapports dont les premiers ont été soutenus par l’OCDE, par une désaffection pour les sciences. On oublie en général de mentionner que les effectifs de classes préparatoires ont nettement augmenté pendant ce temps, que les IUT n’ont pas connu de baisse notable, et que les diplômes scientifiques à bac+5 (ingénieur, master), avec plus de 4% d’une classe d’âge, se portent fort bien. L’explication par le manque d’attractivité des sciences permet d’éviter de se pencher sur d’autres données, telles que le taux de réussite en licence ; une étude de la DEPP (note 13.02 d’avril 2013) montre que, même sans compter les étudiants qui abandonnent après un an, ils sont particulièrement bas. Pourquoi de bons étudiants se dirigeraient-ils vers des études connues pour avoir un fort taux d’échec, et un faible accompagnement des étudiants ?

 

Le nombre de candidats au CAPES de mathématiques est tout à fait insuffisant pour permettre de recruter le nombre de postes mis au concours, et la presse s’en est largement fait l’écho. On a moins dit que la situation était pire en lettres classiques, car on effraie moins les gens en leur disant qu’on va manquer de professeurs de latin que de mathématiques, et pas plus brillante dans d’autres domaines, dont l’anglais ; on a préféré mettre l’accent sur le manque d’attractivité des mathématiques. Pourtant, il s’agit là d’un banal désastre de gestion des ressources humaines par des responsables incompétents, résultat prévisible, et d’ailleurs prévu depuis 2010… La seule chose qui distingue les mathématiques et l’anglais d’autres disciplines, c’est que les candidats potentiels à ces deux CAPES peuvent très facilement trouver un emploi ailleurs. Dans ces domaines, des erreurs majeures de politique de recrutement se paient donc immédiatement au prix fort ; rien à voir avec l’attractivité de la discipline.

 

il faut disposer d’un réservoir de tours propres à rendre vivantes les notions que l’on enseigne.

Elles pourraient l’être plus !

Si les mathématiques sont naturellement attirantes pour une majorité d’élèves, elles sont aussi, on l’a dit plus haut, anxiogènes pour beaucoup. C’est en partie inévitable : à partir du moment où la réussite en mathématiques conditionne en grande partie la réussite scolaire, il est difficile d’éviter cette anxiété ; la plupart des pays développés connaissent ce problème, et particulièrement ceux qui, tels la Corée ou le Japon, ont beaucoup investi dans ce domaine.

 

Cela dit, l’apprentissage de la lecture est un préalable encore plus important à toute réussite, et elle ne développe pas une telle anxiété chez la plupart des élèves. Le style éducatif doit aussi jouer un rôle : quand on lit qu’un enseignant explique (dans les commentaires d’un site consacré aux maths) qu’il est bon de traumatiser les adolescents avec le formalisme pour les faire progresser en mathématiques, on sent qu’il y a encore des progrès à faire pour rendre les mathématiques plus attractives et moins anxiogènes…

 

Cela passe par des progrès dans les méthodes d’enseignement, par de meilleurs programmes, et bien sûr par un arrêt de la diminution systématique des heures d’enseignements en mathématiques que nous connaissons depuis 20 ans, et un retour à des horaires raisonnables. Quand on a vu un groupe d’élèves essayer de comprendre pourquoi il est naturel de poser que la somme de toutes les puissances de 2 est égale à -1, ou pourquoi la dimension de la courbe de von Koch est égale à log 4/log 3, on sait qu’un cours de mathématique, quand il est bien fait, peut rivaliser avec un spectacle de prestidigitateur… mais qu’il faut pour cela disposer d’un réservoir de tours propres à intéresser les élèves et à rendre vivantes les notions que l’on enseigne.

 

Pour en savoir plus…

Texte de Pierre ARNOUX, Professeur à la Faculté des Sciences de Luminy (Université d’Aix-Marseille).

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