Quand les mathématiques traquent les tourbillons océaniques

2013 est l’année des mathématiques de la planète Terre : c’est l’occasion de proposer aux mathématiciens de nouveaux défis liés aux géosciences. En voici un exemple tiré de communications de Laure Saint-Raymond.

 

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La circulation des courants marins vue par satellite. NASA/Goddard Space Flight Center

La circulation océanique joue un rôle fondamental pour la vie marine et certaines activités humaines comme la navigation et la pêche. Pour décrire la façon dont les masses d’eau des océans se déplacent, il faut prendre en compte de multiples facteurs comme la rotation de la Terre, les courants à très grande échelle, ainsi que les petites fluctuations provoquées par le vent. Parmi les phénomènes remarquables, certains tourbillons (aussi appelés vortex océaniques) s’étendent sur plusieurs dizaines de kilomètres et peuvent abriter des écosystèmes particulièrement intéressants. Comprendre qualitativement l’existence de ces tourbillons est un défi pour les mathématiciens.

 Comprendre l’existence des tourbillons, un défi pour les mathématiciens

En négligeant les effets dus aux variations de densité, de température et de salinité de l’eau, ainsi que les variations verticales de la circulation (la profondeur des océans étant très faible comparée à leur étendue horizontale), les seules inconnues du problème sont la vitesse locale (une quantité à deux dimensions) et la hauteur d’eau. Connaissant de plus les grands courants marins au niveau de la planète, on peut supposer que ces inconnues (vitesse et hauteur d’eau) sont elles-mêmes de petites fluctuations autour de leur valeurs moyennes. Leur évolution au cours du temps est alors régie par un système d’équations aux dérivées partielles relativement simple, traduisant d’une part la conservation de la quantité d’eau, et d’autre part l’accélération des masses d’eau par la pression hydrostatique, la friction avec le vent et la rotation de la Terre (force de Coriolis). Il est possible de le résoudre au moins de façon approchée, en superposant des solutions particulières, appelées ondes. Les résultats obtenus sont cependant beaucoup trop complexes, en raison du nombre important de paramètres, pour permettre une visualisation rapide de la géométrie des écoulements.

Sept problèmes à un million de dollars

L’idée est alors d’introduire un filtre, car il est inutile d’avoir une résolution très fine pour obtenir une image nette à l’échelle des tourbillons. Une difficulté majeure provient du fait que les différentes ondes créées par le vent ont des comportements très variés et ne peuvent pas être analysées par le même filtre. Un travail en collaboration avec C. Cheverry (Rennes), I. Gallagher et T. Paul (Paris) a permis d’obtenir un bon outil dit de polarisation, qui permet de prédire de façon systématique la localisation des vortex. Il reste maintenant à en tester la robustesse, pour savoir s’il peut apporter une réponse satisfaisante pour des modèles plus réalistes, prenant en compte par exemple la topographie des fonds sous-marins et les mouvements verticaux en résultant, les flux liés aux différences de température, voire les interactions entre l’air et la mer.
La question est donc loin d’être close !

Notons que certains problèmes de mathématiques liés à la mécanique des fluides (que ce soit pour l’océanographie, la météorologie ou pour les problèmes de combustion) sont réputés particulièrement difficiles : en effet, l’existence de solutions régulières uniques pour les équations de Navier-Stokes des fluides incompressibles est l’un des sept problèmes à un million de dollars proposés par la fondation Clay (et selon certains mathématiciens « résoudre ces défis est sans doute l’une des façons les plus difficiles de devenir millionnaire »). Sur ce sujet, une bande dessinée accessible à tous vient de sortir et présente cette « équation du millénaire ».

Pour en savoir plus, un article dans Images des Mathématiques.

laureLaure Saint-Raymond, professeur à l’École Normale Supérieure de Paris, prix Irène Joliot-Curie 2011 de la « jeune scientifique de l’année », prix EMS 2008 des « meilleurs jeunes mathématiciens de moins de 35 ans ». Elle a également contribué à la résolution d’autres problèmes d’analyse asymptotique comme le sixième problème de Hilbert, pour obtenir les équations de la mécanique des fluides à partir de l’équation de Boltzmann comme elle l’explique dans sa présentation dans le cadre du cycle « un texte, un mathématicien » en 2010.

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