Vie de Mathématicien : Vincent Verneuil

verneuilQue font les mathématiciens ? Vincent Verneuil s’exprime sur le sujet à travers une interview que nous lui avons proposée. Il est analyste en sécurité chez NXP Semiconductors, à Hambourg.

  • D’où vient votre passion pour les mathématiques ? Et pourquoi avez-vous décidé d’étudier les mathématiques ?
    Les mathématiques m’ont attiré depuis les premiers cours de géométrie à l’école primaire parce qu’il s’agissait de la seule matière qui repose uniquement sur la logique. Et pour moi les problèmes logiques ont toujours été ludiques, un peu comme les jeux de Picsou magazine… Il n’y a que la forme qui soit différente ! J’aimais aussi les autres matières comme le français, l’histoire, etc., mais ce n’était pas aussi amusant que les maths.
  • Est-ce que vous pouvez nous parler de votre parcours scolaire/universitaire ?
    À l’école primaire, j’ai eu des instituteurs passionnés qui m’ont donné envie de devenir professeur des écoles. Ce projet m’a suivi jusqu’à la fin du lycée. Il faut dire que mes parents n’ont jamais tenté d’influencer mes choix ou de m’orienter vers une autre voie. Ainsi je n’avais pas la pression que beaucoup d’enfants subissent aujourd’hui, me semble-t-il. J’ai récolté de bonnes notes sans trop me soucier de l’avenir et me suis inscrit à l’université pour étudier les mathématiques plutôt que dans une prépa prestigieuse comme l’auraient souhaité certains de mes professeurs.
    C’est à l’université que j’ai eu des doutes sur ma vocation d’instituteur. J’ai aussi lu un livre sur l’histoire de la cryptographie qui m’a passionné (L’histoire des codes secrets de Simon Singh) et j’ai découvert qu’il existait un master de cryptologie dans mon université. Si mes souvenirs sont exacts, je m’y suis inscrit sans trop me soucier des débouchés professionnels…
  • Avez-vous eu envie de poursuivre vos études universitaires par une thèse ? Est-ce que vous vouliez continuer votre carrière dans l’université ?À l’issue du master, je n’avais pas pour projet de faire une thèse. Je souhaitais avant tout travailler et prendre mon indépendance, ce qui pour moi était en contradiction avec l’idée de rester étudiant… Mon stage de fin de master m’a emmené en région parisienne, ce qui m’a fait sortir de ma « bulle » bordelaise. J’ai eu l’intuition que mes études n’étaient pas encore terminées et je me suis inscrit dans le mastère spécialisé (c’est-à-dire un bac +6) « Sécurité de l’information et des systèmes » de l’ESIEA à Paris. C’est là que l’on m’a expliqué qu’une thèse pouvait se dérouler en entreprise et ce compromis m’a tout de suite attiré.
    Faire carrière à l’université n’a jamais été mon projet, bien qu’aujourd’hui j’y pense quelquefois. Malheureusement les passerelles entre le monde industriel et le monde académique sont à ma connaissance trop limitées.
  • Comment êtes-vous entré dans le monde industriel ?
    Mon stage de mastère spécialisé s’est déroulé en région bordelaise dans le service validant la sécurité des produits cryptographiques chez Oberthur Technologies. Il était prévu que le stage soit suivi d’une thèse CIFRE, ce qui n’a pas pu se faire en raison d’un gel des recrutements au niveau national (nous étions alors en 2008). J’ai donc postulé à différents postes dans le domaine de la cryptographie embarquée sur carte à puce et j’ai décroché une autre thèse CIFRE à Inside Secure à Aix-en-Provence sur un sujet proche de mon sujet de stage : l’implémentation de la cryptographie à base de courbes elliptiques sur carte à puce.
  • Pourquoi avez-vous choisi cette carrière ?
    Je n’ai pas le sentiment d’avoir consciemment « choisi » cette carrière plutôt qu’une autre. Je n’ai fait que suivre mes centres d’intérêts. J’ai le sentiment d’avoir eu beaucoup de chance car ceux-ci m’ont porté vers un domaine où l’on trouve facilement du travail.
  • Que faites-vous actuellement (plus en détail) ?
    Après la fin de ma thèse, j’ai continué à travailler quelque temps chez Inside, puis j’ai eu envie de vivre une expérience à l’étranger, ce que je n’avais pas eu l’occasion de faire pendant mes études. Je dois dire que ma compagne m’a encouragé dans cette voie, ce qui a été très important pour franchir le pas.
    J’ai donc postulé pour un poste à Hambourg dans l’équipe d’analyse de vulnérabilité chez NXP. Dans cette équipe, nous jouons le rôle de « hackers » afin de mettre à l’épreuve la sécurité des composants (destinés à être embarqués sur des cartes bancaires, dans des passeports ou encore des boîtiers de télévision à péages). Je continue donc d’appliquer les attaques dites « par canaux auxiliaires » que j’ai étudiées pendant ma thèse sur des produits avant qu’ils ne partent dans des laboratoires de certification. Ces attaques consistent par exemple à étudier la consommation de courant d’un processeur pendant qu’il effectue une opération de cryptographie afin de s’assurer qu’elle ne divulgue pas d’information sur la clef secrète utilisée.
  • Est-ce que vous êtes satisfait de votre choix ?
    Je suis très satisfait de mon poste actuel. Bien que la recherche ne soit pas mon activité principale, j’en reste très proche car nous devons rester constamment à « l’état de l’art » des attaques publiées. Nous sommes donc en lien direct avec le monde académique, ce qui est important pour moi.
    Je suis également très heureux à Hambourg. C’est une ville très agréable, à l’opposé de l’image austère que l’on en a parfois.
  • Quelle est l’importance des mathématiques dans votre métier ?
    Mon travail ne consiste pas à faire des mathématiques à proprement parler, pourtant je ne pourrais pas le faire correctement si je n’avais pas cette formation. Une des difficultés de notre mission de sécurisation des composants est que nous avons face à nous des attaquants qui n’ont qu’à « réussir une fois » pour contourner nos mesures de sécurité, alors que nous, nous devons « réussir toujours » pour protéger les produits contre les attaques.
    Dans ce contexte, le raisonnement mathématique est le seul qui puisse apporter une preuve de sécurité face à un adversaire que nous modélisons par des hypothèses (son degré de connaissance du produit, sa capacité à interagir avec le composant, etc.).
    Sans les mathématiques, nous ne ferions qu’appliquer des contre-mesures à l’aveugle pour parer telle ou telle attaque. En revanche, avec les mathématiques nous avons la capacité de concevoir des contre-mesures qui protègent les composants d’une large classe d’attaque. Lorsque toutes les classes d’attaques connues sont couvertes, on peut considérer le produit comme sécurisé.
  • Pouvez-vous décrire un projet dans lequel les mathématiques ont joué un rôle important ?
    Les mathématiques sont utiles dans deux domaines de mon métier : la cryptographie d’une part, car de nombreux algorithmes cryptographiques (en particulier dans le domaine de la cryptographie à clef publique) reposent sur la théorie des nombres et l’algèbre, et l’analyse des composants d’autre part, où une démarche mathématique est nécessaire pour garantir qu’une attaque est efficacement couverte. Cette tâche fait aussi appel à des connaissances en statistiques, traitement du signal, informatique, etc.
  • Est-ce que vous êtes satisfait de « l’application » de votre connaissance des mathématiques ?
    Comme je l’ai expliqué, mon métier fait appel à de nombreuses disciplines des mathématiques que j’ai étudiées pendant mon cursus universitaire. Mais le plus important reste à mon avis la démarche mathématique qui interdit de prendre pour acquis quelque chose que l’on n’a pas démontré. Les exemples d’échec dans le domaine de la cryptographie et de la sécurité sont nombreux lorsque ce principe n’est pas respecté !
  • Changeriez-vous quelque chose dans votre vie comme mathématicien ? Quels sont vos projets pour l’avenir ?
    Je ne me considère pas comme un mathématicien à proprement parler. Le métier que j’exerce fait appel aux mathématiques, mais aussi à l’informatique et à l’électronique par exemple.
    Je n’ai pas de projet précis pour l’avenir, je compte poursuivre ma découverte du champ des attaques sur composants embarqués. Je souhaite rester du côté technique de ce domaine : le management, très peu pour moi !
    Une chose est sûre : si un jour je ne m’amuse plus dans mon métier ou que je cesse d’apprendre de nouvelles choses, c’est qu’il est temps pour moi de passer à autre chose.
  • Selon vous quelles sont les raisons qui font des mathématiques la matière scolaire la plus difficile et la plus redoutée ?
    Premièrement, l’aspect ludique des mathématiques que j’ai évoqué plus haut n’est probablement pas assez exploité ou mis en valeur à l’école ! Si l’on apprenait les maths au travers de « jeux » plutôt que de « problèmes », cela rebuterait peut-être moins les écoliers. Bien sûr, à partir d’un certain niveau, la capacité à raisonner sur des concepts abstraits constitue une barrière pour certains. C’est tout à fait normal : tout le monde n’a pas vocation à devenir mathématicien.
    Ensuite, il y a une tendance de fond dans notre société qui tend à dissocier l’amusement et la réflexion, le plaisir et l’effort. Pourtant si on leur accorde du temps et quelques efforts, les mathématiques apportent beaucoup de plaisir et peuvent être à la fois amusantes et très surprenantes. Je pense qu’il n’est pas juste de considérer les mathématiques – ainsi que les autres sciences fondamentales – comme trop difficiles.
  • Que conseilleriez-vous aux mathématiciens qui veulent entrer dans le domaine industriel ?
    Il faut bien sûr s’intéresser au monde industriel et aux problématiques qui peuvent trouver des solutions dans les mathématiques. Il y a beaucoup de travail dans les domaines de l’optimisation, de la modélisation, des statistiques, etc. Je pense aussi qu’il faut faire preuve de créativité et avoir l’esprit d’initiative car un industriel n’a pas nécessairement conscience que les mathématiques peuvent apporter une solution à ses problèmes.
    Ensuite il faut savoir que le monde industriel fonctionne différemment du monde académique. Pour autant que je puisse dire, l’un n’est pas meilleur que l’autre : chacun a ses avantages et ses inconvénients !

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