Le questionnaire de Proust : Aline Bonami

bonamiAline Bonami est professeur émérite à l’université d’Orléans. Elle a travaillé dans de nombreux domaines des mathématiques – analyse harmonique, analyse complexe, probabilités, équations aux dérivées partielles – en abolissant les frontières entre maths pures et appliquées, passant de l’analyse complexe à la détection de l’ostéoporose par exemple. Elle a représenté les mathématiciens dans de nombreuses institutions (CNU, CNRS, ministère, SMF). Tout au long de sa carrière, elle n’a cessé de s’intéresser à la recherche en mathématiques dans les pays en voie de développement.
  • Ma vertu préférée en mathématiques
    La curiosité.
  • Le principal trait de mon caractère mathématique
    L’éclectisme.
  • La qualité que je préfère chez les mathématiciens
    Leur honnêteté.
  • La qualité que je préfère en mathématiques
    L’imagination.
  • Mon principal défaut comme mathématicienne
    Le dilettantisme.
  • Ma lecture mathématique préférée
    À chaque moment la dernière en date, si du moins elle m’a plu. Actuellement le livre de Wiener, « La Cybernétique ».
  • Mon rêve comme mathématicienne / Mon cauchemar comme mathématicienne.
    Réussir à visualiser une longue et belle démonstration, avec plein de découpages / être engluée au milieu d’une démonstration sans rien y voir.
  • La faiblesse principale des mathématiques
    Leur éloignement des autres sciences, les difficultés de communication.
  • La mathématicienne que je voudrais être
    Que je voudrais être, ou pourrais être ? Mes modèles absolus sont Jean Bourgain et Terence Tao, qui ont une capacité d’imagination extraordinaire.
  • Le théorème que je préfère
    Le théorème de différentiation de Lebesgue.
  • L’application des mathématiques que je préfère
    Le traitement du signal : l’utilisation universelle du théorème d’échantillonnage, c’est quelque chose de fascinant…
  • Les mathématiciens qui m’ont orientée
    Yves Meyer, Jean-Pierre Kahane, et aussi Eli Stein et l’école américaine d’analyse réelle.
  • Les mathématiciens qui m’ont dissuadée
    Peut-être y en a-t-il eu d’autres que moi-même aux moments de doute, mais j’ai oublié.
  • Le nom de variable que je préfère
    Lambda, qu’on utilise pour décrire le spectre d’une série trigonométrique lacunaire.
  • Le type de calcul que je préfère
    J’aime découper les intégrales en petits morceaux pour pouvoir les estimer. J’aime qu’il y ait besoin d’arguments combinatoires pour arriver à organiser les calculs.
  • Le type de calcul que j’utilise
    L’analyse de Fourier et différentes techniques d’analyse réelle.
  • Le type de calcul que je trouve le plus ennuyeux
    Les calculs explicites lorsqu’on n’arrive pas à les ordonner pour pouvoir les comprendre.
  • Les dénominations mathématiques que je préfère (théorème, corollaire…)
    Lemme : les petits lemmes, ce sont les briques des démonstrations.
  • L’entreprise scientifique que j’estime le plus
    Je suis fascinée par les commencements, les premières inventions. Celles qui n’étaient pas formalisées comme telles, l’invention des machines-outils, de la brouette…
  • Le don de la nature que je voudrais avoir.
    Un don qu’on perd avec l’âge, le don de dormir à la demande. Quand j’étais jeune j’avais besoin de beaucoup de sommeil. Comme les maths, à certains moments de la recherche, ont tendance à être obsédantes, elles m’empêchaient de dormir, ce que je ne supportais pas plus d’une nuit. Maintenant un bon sommeil m’est nécessaire pour pouvoir faire des maths le lendemain, et ce n’est pas gagné.
  • Comment j’aimerais qu’on se souvienne de moi comme mathématicienne
    Comme quelqu’un d’ouvert, qui n’hésite pas à prendre de son temps pour aider les autres. Et, accessoirement, comme l’auteur de quelques lemmes.
  • L’état présent de mes recherches
    Des chantiers dans beaucoup de directions, au gré des collaborations.
  • La faute qui m’inspire le plus d’indulgence
    Les erreurs de calcul, alors que j’ai peu d’indulgence pour les fautes de raisonnement, surtout les miennes.
  • Ma deviseMe faire confiance, suivre mon intuition.
  • Pourquoi la recherche mathématique est-elle masculine ?
    La recherche n’est pas masculine par essence. Par contre, si on utilise un vocabulaire guerrier pour la décrire, ce qu’on fait couramment (on se bat avec un calcul, on attaque un problème…), elle le devient. J’ai beaucoup aimé le livre d’Isabelle Stengers « Une autre science est possible ! », dans lequel ces idées sont développées. Peut-être un jour valorisera-t-on les aspects collaboratifs de la recherche plus que la compétition entre chercheurs ? Il faut espérer, pour le bien des mathématiques elles-mêmes, que la communauté mathématique sera plus équilibrée du point de vue mixité, et aussi diversité. Il faut agir en ce sens.
  • Les mathématiques appliquées s’étendent-elles à la même vitesse que celle des algorithmes mathématiques ?
    Je ne comprends pas bien la question. Les mathématiciens appliqués ne trouvent évidemment pas des théorèmes d’existence ou de convergence dès qu’un bon algorithme a été trouvé, par un mathématicien ou quelqu’un d’autre : ingénieur, informaticien, mécanicien, physicien… Ce qui ne contredit pas le fait qu’il est important que les mathématiciens s’intéressent aux applications, même lorsque il n’y a pas de théorème en vue. Il y a eu beaucoup de progrès récents dans cette direction en France.
  • Dans quelle mesure le travail compte-t-il dans la résolution de problèmes mathématiques ?
    On peut avoir la nostalgie de la résolution de problèmes au lycée, où il suffisait d’avoir la bonne idée sans beaucoup travailler. En recherche il faut beaucoup de travail. Il faut par contre beaucoup de liberté dans sa manière de travailler. Il ne s’agit pas de s’asseoir à sa table et de lire ou écrire, il y a des jours où ça ne servirait à rien (du moins pour moi). On avance quand le problème est complètement entêtant et vous accompagne partout.La culture générale, qui s’acquiert au fil des ans, joue un rôle important. On ne l’acquiert pas sans travail, mais c’est un travail plus léger, désintéressé, au cours duquel on se laisse entraîner de lecture en lecture, de séminaire en séminaire. Malheureusement les contraintes actuelles n’aident pas les jeunes collègues à y consacrer du temps.
  • Dans quelle mesure le formalisme compte-t-il ?
    Le formalisme est inhérent aux mathématiques, il n’y a pas de mathématiques sans formalisme. Ceci dit, il vaut mieux qu’il reste léger et ne soit pas un carcan. En analyse harmonique, il y a 40 ans, beaucoup de résultats étaient écrits pour les groupes abéliens localement compacts généraux. C’était souvent un formalisme inutile, les vraies difficultés, ainsi que les applications, concernant les séries et intégrales de Fourier. Inversement le recours à un formalisme adapté est évidemment souvent déterminant.
  • Mathématiques et grammaire sont-elles liées ?
    Je suis assez mal à l’aise avec cette idée de liens privilégiés entre les mathématiques et la musique, les mathématiques et la grammaire, etc., au-delà de ce que nous apprend l’histoire des sciences. Elle sous-tend souvent l’idée que le « don » pour les mathématiques s’accompagne automatiquement de dons pour un certain nombre de disciplines. Je ne le constate pas sur moi.
  • Parlez-vous « mathématique » correctement ?
    Aux autres d’en juger.
  • À quel point faut-il être douée pour réussir en mathématique ? Pourquoi faut-il avoir moins de trente ans ?
    C’est comme dans toute autre activité, il faut y réussir raisonnablement pour y trouver du goût. Inné ou acquis… quand on parle de don on pense bien évidemment à l’inné. Mais comme on dit pour d’autres identités, on ne naît pas mathématicien-ne, on le devient. Moins de 30 ans ? Bien entendu beaucoup de mathématiques se sont faites après 30 ans, 40 ans, voire 60 ans ou plus. Mais il me semble vrai qu’on a plus d’imagination avant 30 ans, plus de culture après. J’ai l’impression de m’être forgé le goût avant 30 ans, mais de m’être libérée après 50. « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait ».
  • Êtes-vous douée ? Depuis quand ?
    Est-ce vraiment une question à laquelle on peut répondre ? Dire non est absurde au regard de tous celles et ceux qui ont du mal avec les mathématiques, dire oui est outrecuidant, dire que le don s’acquiert n’a pas vraiment de sens. Il vaut bien mieux dire que le plaisir des maths reste entier, après des années.

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